Le serpent de métal
Personne ne savait quand cela avait bien pu commencer.
à l’aube déjà, le Génie de la Liberté, perché sur la colonne de la Bastille, paraissait sautiller pour échapper au flot de voitures qui, minute après minute, se répandait dans la moindre rue.
Au fond, c’était comme s’il avait toujours été là, gigantesque et tentaculaire.
De mémoire de Parisiens, c’était l’embouteillage le plus colossal que la ville ait connu depuis des décennies.
«C’était bien le jour…
» songea Nathan en ouvrant les volets de sa chambre.
Quelques étages plus bas, la chaussée de la rue La Fayette ressemblait à un grand serpent amorphe.
Le jeune garçon se pencha un peu plus loin sur le rebord et plissa les yeux.
Aussi loin qu’il pouvait regarder, les anneaux du serpent se déployaient avec paresse.
Ce fut, paradoxalement, le silence de ce spectacle qui frappa Nathan: au vrombissement habituel des moteurs, aux pétarades des motos et scooters avait succédé un calme pesant.
La rue n’avait jamais été aussi pleine, et pourtant jamais aussi peu bruyante.
A l’horizon, dans le ciel, il remarqua une sarabande d’hélicoptères, sans doute affairés à déterminer l’origine de ce chaos.
Nathan s’étira en se mettant sur la pointe des pieds puis, après avoir cherché deux minutes son chausson gauche, il ouvrit la porte de sa chambre et se dirigea d’un pas traînant vers le salon, où devait l’attendre son petit déjeuner.
Ce matin-là, son plateau d’ordinaire si bien préparé – avec une pomme verte lisse et brillante dans le coin supérieur gauche, le bol de céréales soigneusement aligné avec la petite assiette de pain grillé – était lui aussi en proie à un certain désordre: tout y avait été posé à la va-vite, du lait et des céréales avaient jailli hors du bol, et même la pomme faisait grise mine.
Nathan savait que ces indices ne trompaient pas.
Vingt secondes plus tard, à peine, son intuition se vérifia.
Sa mère venait d’apparaître dans le salon, qu’elle traversa au pas de course en faisant des moulinets avec les bras; dans son sillage, tout se mettait à frémir comme avant un tremblement de terre.
Les sourcils froncés, elle se figea un instant sur place, puis reprit sa course agitée à travers l’appartement.
La bouche pleine de céréales, Nathan rentra la tête dans les épaules: il savait qu’il était déconseillé de demander ou dire quoi que ce soit, même un simple «bonjour».
Comme un promeneur surpris par l’orage, il attendit donc patiemment de voir où la foudre allait tomber.
L’éclair s’abattit alors qu’il buvait son jus d’orange.
Sa mère se planta devant lui, de l’autre côté de la table, une main sur une hanche et l’autre décrivant des courbes incompréhensibles dans les airs.
«Tu as vu?
Non mais tu as vu?
demanda-t-elle dans un hoquet d’agitation.